5) du 11 juin au 18 juillet.


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Quelques fois, les images, à l'ouverture d'une page, s'ouvrent de manière anarchique.
En ouvrant une image, au hasard, tout se met en ordre..

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Le repli d'un peloton (récit de l'adjudant Coirier) dans le livre de Marc Parotin.

"Dimanche 11 juin
   
Vers 15h 10, c'est l'alerte. Les Allemands sont là avec des voitures blindés. Nous avons tout juste préparé nos bagages, quand la fusillade éclate de toutes part. Je donne l'ordre de départ vers l'ouest pour me rapprocher de Bellesauves; ce qui reste de l'état major se joint à moi (les officiers faisaient la bombe à la ferme Parelon). Le sergent chef Cosson vient et me déclare: "j'ai cinq millions dans ma sacoche; je demande à me joindre à vous;"
    Il nous faut traverser une route dans un secteur tenu par l'ennemi. Je le fais dans un tournant, suivi de Cosson, de quelques aspirants et de mes gardes,, et je trouve peu après un couvert où l'on échappe à la vue de l'ennemi. Quand nous arrivons au camp de Bellesauves, où je ne trouve personne, je je n'ai plus que 15 gradés ou gardes avec moi; les autres se sont perdus. Les Allemands font brûler les fermes avoisinantes.
    Crosson me presse de repartir: il a peur de tomber entre leurs mains avec sa précieuse sacoche. Il est 21 heures quand nous repartons. J'ai décidé que nous marcherions toute la nuit pour quitter ce secteur et passer entre Pontarion et Bourganeuf.

Lundi 12 juin, vers 1 heure du matin, je décide un repos d'une demi-heure. Nous entendons, au loin, les automitrailleuse ennemies qui continuent de patrouiller sur les routes et de tirer sur la lisière des bois.
Il nous faut traverser un terrain marécageux, difficile et nous arrivons sur le bord du Thaurion. Nous franchissons la rivière.

Mardi 13 juin, marche de nuit. Repos et bivouac dans les bois.

Mercredi 14 juin, nous allons avec d'autre éléments, nous regrouper dans les Grands-Bois."  

    carte d'état major au 1/50 000 ici    

 

   

 

 

   

 

L'Ecole de la garde se réorganise dans les Grand-Bois (la forêt de Mérignat).

Lundi 12 juin, vers 5 heures, le P.C. de l'École de la Garde, avec ce qui reste de l'escadron d'élèves officiers, arrive dans les Grands-Bois où ils sont chaleureusement accueillis par les F.T.P. de la 2102ème compagnie du capitaine Daniel (Pierre Leylavergne) qui y séjournent depuis de nombreux mois. 
Ils sont une trentaine d'hommes quand une heure plus tard arrivent le lieutenant Georges avec les rescapés de son unité et le capitaine Mathé revenu avec 6 chauffeurs conduisant des voitures récupérées au P.C. de Janaillat.
Les élèves-gardes passent la journée à construire des huttes de branchages.
Le soir, vers 17 heures arrive le commandant Corberand.

Ce jour, la division "Das Reich" quitte la région.

jusqu'au Jeudi 15 juin, l'École de la Garde se regroupe petit à petit dans ce vaste massif forestier que longe le Thaurion au nord-ouest de Bourganeuf.
L'escadron du capitaine Fourreau est arrivé dans la nuit du 13 juin.
Des patrouilles sont envoyées à Janaillat pour récupérer le matériel que les Allemands n'ont pas trouvé: un side-car, 3 fourgons de l'escadron Receveau, une camionnette du peloton Page et 2 motos. On ramène aussi des munitions, des effets et des vivres.

Vendredi 16 juin, la radio anglaise annonce le passage au Maquis de l'École de la Garde et des combats qui se sont déroulés à Guéret. Il faut souligner l'impact de ce ralliement, et la crainte des Allemands que cette première initiative des émules.

Lundi 19 juin, les élèves sont rassurés sur leur avenir militaire, les officiers sur leur avancement, après la visite des colonels Rivier et Charlieu
(
Polytechnicien (X 1933), Maurice Rousselier (Rivier) est avant guerre militaire d'active. Il est vraisemblablement membre du Parti Communiste. Après la campagne de France de 1940, il entre dans la Résistance en adhérent au mouvement Libération-Sud. Il devient ensuite chef de l'Armée secrète pour la région R4 (Toulouse).
Il doit changer de région en 1944 pour prendre le commandement des Forces Françaises de l'intérieur de la région 5 (Limoges). Il organise les unités de la région jusqu'à la libération. En liaison avec les chefs départementaux, il contribue à la libération des villes de Limoges, Guéret, etc... Fin 1944, il prend le commandement de la 12ème région militaire, et participe à la réduction des poches de résistance allemandes sur la façade atlantique.
Il devient un des trois cadres dirigeants d'E.D.F. après guerre.
Il se donne la mort en 1958.) (Wikipédia)
( le lieutenant colonel Henri Chas, dit Charlieu, chef régional des maquis A.S., arrêté le 22 juillet à Vieilleville, il meurt en déportation à Bergen-Belsen)

Le commandant Corberand fait le recensement dans les escadrons:
il ne reste plus de l'École de la Garde que le sixième de son effectif du 6 juin.
Des jeunes élèves ont déserté pour rejoindre les unités restées fidèles au gouvernement de Vichy ou retrouver leur famille. Des gradés sont également partis.
Il reste:
- 10 gradés et gardes à l'escadron Receveau ( troisième escadron),
- 15 gradés et gardes à l'escadron 7/5 de Limoges,
- 50 gradés et gardes au quatrième escadron,
- 15 élèves officiers au premier escadron (le Guillou).

L'École de la Garde "s'ennuie" aux Grands-Bois; il ne sont pas préparé à la vie au Maquis: pluie, froid et insécurité. Cela va obliger le commandant à une réorganisation et à une dislocation des unités qui devront vivre dans la zone attribuée en restant sur la défensive.

Dans la nuit du mardi 20 au mercredi 21 juin, les unités quittent les Grands-Bois pour gagner leurs nouveaux secteurs.
- le P.C. va s'installer dans la région de Soubrebost, à la ferme Percée.
- le 1er escadron (Fourreau) au Rioublanc, à 10 km au sud-est de Bourganeuf.
- le 2ème escadron (Georges) à l'est de la route Chavanat-Royère.
- le 3ème escadron (Receveau) près de Favareillas.
- le 4ème escadron (Termet) près de Forgeat puis de Peyrus (Peyrusse ?)
- le groupe instruction technique à la ferme de Lachamps puis dans les bois du château de Peyrus (Peyrusse ?)

Pour retrouver des effectifs normaux, les escadrons vont recruter dans la région où ils vont cantonner. Des jeunes seront encadrés par des élèves-gardes.

 

   

 

 

 

    carte d'état major au 1/50 000 ici    

 

 

   
  L'activité de l'Ecole après son départ des Grands-Bois du 21 juin au 14 juillet.
Mis à part les pelotons de service qui assurent la garde du terrain de parachutage de Nadapeyras dans la commune de Soubrebost durant les nuits où sont espérés des envois d'armes, de munitions et de matériel de sabotage, les escadrons de l'École de la Garde restent dans leur cantonnements. 
(Nom de code "Pension"; c'est certainement le terrain le plus utilisé en Creuse en 1944. Entre le 1er et le 16 juillet, ce terrain reçoit une livraison d'armes et de matériel tous les trois jours. Le terrain est pris le 17 juillet 1944 par des éléments de la brigade allemande Jesser qui exécutent plusieurs patriotes, détruisent les bâtiments et prennent un important stock d'armes. Un gros parachutage avait eu lieu dans la nuit dans le cadre de l'opération alliée Cadillac. message: Robespierre se rase x fois , x est le nombre de containers.)
Si les élèves-gardes, pour beaucoup avaient cru passer au Maquis pour combattre les Allemands, rares sont les supérieurs qui l'entendent ainsi, même si ils ont rompu leur serment de fidélité au maréchal Pétain.
Pour l'escadron de Gardes Mobiles, replié de Bellac, la consigne du colonel est de ne pas tirer sur les Allemands.
   
 
   
 
   
  Les cantonnements connaissent quelques changements:
- le 3 juillet, le lieutenant colonel Marty, officier supérieur de la gendarmerie, responsable du service technique, s'installe avec son équipe d'instruction technique à Champroy (St-Dizier-Leyrenne) et fait continuer les travaux à la ferme de Peyrus puis à celle de Lachamps.

A partir du 8 juillet, l'école est réorganisée par le commandant Corberand et son adjoint le capitaine Fourreau. 
les groupes d'escadrons sont subdivisés en compagnies.   
- le 1er groupe - capitaine Mathé - a son P.C. à la Bussière (St-Pierre-Bellevue)
                    - la 1ère compagnie - lieutenant Page - est à Freisseix ( St-Pardoux-Morterolles)
                    - la 2ème compagnie - lieutenant Georges - est au Gué Chaumeix (Monteil-au-Vicomte)
                    - la 3ème compagnie - lieutenant Guillot - est à Lavaud-Soubrannes (Vallières)

    - le 2ème groupe - capitaine Receveau - est formé avec les reliquats des escadrons dispersés.
                    - la 4ème compagnie - lieutenant Doison - est à la Seauve (Vallières)
                    - la 5ème compagnie - sous-lieutenant Comte - est à Favayeras
                    - la 6ème compagnie - adjudant-chef Coirier - est à Vellegros

    - le 3ème groupe - capitaine Termet - compte 4 compagnies qui cantonnent de part et d'autre du Thaurion
                    - la 7ème compagnie - lieutenant Garnault - est au Pommier (St-Dizier-leyrenne)
                    - la 8ème compagnie - adjudant-chef Dumas - est à la Vilatte (St-Dizier-leyrenne)
                    - la 9ème compagnie - adjudant-chef Legendre - est à Magnat
                    - la 10ème compagnie - adjudant-chef Toussaint - est à Boissieux (Châtelus-le-Marcheix).

   
 

 

 

    carte d'état major au 1/50 000 ici    

 

    L'école a reçu un télégramme de félicitations du général kœnig pour son ralliement à la résistance. Cadres et élèves sont tranquillisés pour leur avenir militaire.

Le 4 juillet, le 4ème escadron (Termet) est inspecté par la mission interalliée.

Le 14 juillet, les compagnies reconstitues participent dans les bourgs, avec les unités C.F.L. et F.T.P. à des défilés devant les monuments aux morts. Ils sont ovationnés par les creusois.

Le 15 juillet, c'est l'état d'alerte: la brigade Jesser vient de pénétrer au sud de la Creuse et se dirige vers Bourganeuf.
(cette brigade, commandée par le général Kurt von Jesser, est formée d'éléments disparates de la Wehrmacht, de S.S. et de divers services de police. Elle est destinée à réprimer et anéantir les groupes de maquisards en Limousin et en Auvergne. Elle sévira de juin à août 1944. (il s'agit de 2500 hommes et 500 véhicules, d'artillerie)
Du 13 au 27 juillet la colonne du colonel Georg Coqui sévit dans la Creuse (la courtine, Felletin, Aubusson, Royères de Vassivière, Pontarion, Bourganeuf), où elle fera une répression féroce.

Le 15 juillet, une prise d'arme est organisée par l'état major F.F.I. à Nadapeyras. On y décore le commandant Corberand et, à titre posthume, le capitaine Séchaud et le garde Chapon.

Le dimanche 16 juillet, une colonne allemande fouille le P.C. du commandant Corberand à Mamoutard, en obligeant celui-ci à se réfugier dans les bois voisins de la ferme.
Le médecin lieutenant Ducourneau y est fait prisonnier.

Les escadrons qui cantonnent dans ce secteur pratiqueront le camouflage et évitent tout contact avec l'ennemi.

  général von Jesser
   
 
   
 
   

 
   
  Le mardi 18 juillet, vers 14 heures, le P.C. du capitaine Mathé ( 1er groupe d'escadron) est investi à Pramy (Saint-Pierre-Bellevue).
   
 
   
 
   
  Les élèves-gardes, repliés dans les bois de la côte 708 se retirent par groupes au sud-ouest du hameau, poursuivis par des fantassins ennemis.

Des sections de Waffen S.S., déployées en lignes de tirailleurs, se lancent à leur poursuite tout en mitraillant les bois bombardés par l'artillerie légère du groupement tactique de la brigade.
Par groupes, les élèves gardes se cachent dans les fourrés et dans les broussailles puis repartent vers le nord.
Partout, les ennemis suivent les lignes de crêtes, sillonnent les routes ou fouillent les fermes isolées et les villages dont ils menacent les habitants; ils tirent sur tous les massifs forestiers où pourraient s'être réfugiés ceux qui leur ont échappé.
On pourrait croire à une grande bataille qui se livre dans le secteur de Pramy.

   

 
   
  Cette période vue par un participant;  le général Véran Cambon de Lavalette (° 18/12/1923, + 26/1/2014) dans "de la Petite-Bastide à la Résistance et au camp de Dachau", élève garde à l'époque.    
   
 
   

 

 

La suite de mes souvenirs de maquis de la Creuse reste assez confuse. L'échec des concentrations étaient patent. Le Lieutenant Guillot en avait eu le pressentiment. Il en tira les conclusions.
D'étables en bivouacs, le peloton, souvent dispersé en trois groupes d'une dizaine d'hommes, changea souvent d'implantation. L'information était rare mais les "bouteillons" (En argot militaire = rumeurs) fréquents.
Nous mangions chez des fermiers qui nous accueillaient de grand cœur (avec bien sûr, des bulletins de réquisition en règle).
Nous montions la garde à tour de rôle, la nuit.

Un jour, nous avons eu la visite de notre ancien commandant d'escadron, le Capitaine Faurie. Il était en civil, ce qui nous surprit. Il nous apprit que le mot d'ordre d'insurrection nationale avait été rapporté et que nous devions essentiellement veiller à garder notre force intacte et prête à opérer en liaison avec les Forces Libres lorsque le moment serait venu de leur préparer la voie. Il fallait éviter à la population les drames de Tulle et d'Oradour. Douche froide pour ceux d'entre nous qui trouvaient que le front du débarquement piétinait et parlaient de se rendre en marches forcées jusqu'en Normandie.

Cependant, le commandant de l'École n'avait pas encore modifié sa stratégie et avait ordonné un nouveau rassemblement aux "Grand-bois", à moins de dix kilomètres au nord-ouest de Bourganeuf !
Le Lieutenant Guillot y regroupa le peloton le 16 juin, avec la ferme intention d'en repartir au plus vite, ce que nous fîmes, le 19.

Nous renouâmes avec la vie de l'École, mais en campagne.
Nuit sous la tente, repas en commun grâce au ravitaillement assuré par nos instructeurs du Cadre-Noir qui, faute de chevaux, étaient chargés de "l'intendance".
Notre instructeur "auto", le Lieutenant-colonel Marty, également chef des services techniques, tenait le "parc" dans les environs (Bois de la Mine, près du Pont-de-Murat).
On y distribua quelques vêtements civils (chemises, pantalons), d'un style très campagnard, sans doute pour camouflage éventuel.

Plusieurs implantations, toujours dans des fermes, furent ensuite notre lot.
Le 14 juillet, en plein jour, nous saluâmes une armada de forteresses volantes. Venaient-elles bombarder quelque objectif stratégique aussi loin du front ? ou larguer armes et munitions ? 
Nous apprîmes ce même jour que des camarades avaient défilé en armes dans des villages. Le lieutenant n'aimait pas ça ! Avec son flair habituel, il pensait bien que de telles provocations ne manqueraient pas de déclencher la foudre.
Cela arriva très vite. Le 15, nous apprenons qu'un parachutage catastrophique a eu lieu. Une colonne allemande s'est ruée sur les lieux, surprenant les F.F.I. préposés à la réception, s'emparant des conteneurs, fusillant les responsables du village.

Nous sommes en alerte et, changeant inopinément de cantonnement, nous dormons habillés, chaussés, ceinturés de cartouchières, sac, arme et casques à portée de la main, dans une grange de La-Chaise.

Le 16 juillet, nous sommes regroupés en peloton puis en escadron. 

Des volontaires sont demandés pour une embuscade sur un convoi signalé. J'en fait partie sous le commandement de l'aspirant Marc, mis à la disposition du lieutenant, et qui avait réussi la veille une opération du même genre. En cours de route nous entendons le bruit de combats sur notre flanc gauche. Arrivés à destination, un contrordre est donné, la situation s'étant aggravée.
Le 18 après midi nous sommes en position sur une hauteur boisée. Nous observons les chars et les camions qui circulent sur les routes du bas. C'est l'encerclement. L'ordre est donné de nous fractionner par groupes de combat indépendants. Mon groupe a à sa tête l'aspirant Cazalet.
L'heure est grave. Chacun le sent bien. Nous devons profiter de la nuit pour traverser les lignes ennemies qui, vraisemblablement, convergeront à l'aube pour ratisser notre réduit.
Ensuite le regroupement se fera à Vallières. Surtout ne pas oublier ce point de rendez-vous.
J'ai mon fusil, mon sac et mes cartouchières pleines.
Au moment du départ, un ordre désagréable m'est donné. Je dois donner mon cher fusil à un camarade qui n'en a pas et me charger d'un lourd fusil-mitrailleur de récupération... dépourvu de levier d'armement. 
Je n'ai pas connu son histoire antérieure. Abandon après un combat perdu ?... la suite hélas ne sera pas plus brillante.
Ce n'était pas le moment de protester en cette heure grave. D'autant que l'honneur m'est fait de devoir couvrir le groupe sur son arrière au cours de ce raid de la dernière chance. Mais sans levier d'armement !

Le groupe progresse aussitôt, avec précaution, à travers bois. A chaque arrêt je fais une tentative pour armer mon arme en introduisant la pointe de mon couteau dans la gorge de la culasse. Impossible. Le ressort est trop puissant ou ma main trop faible. On peut faire l'expérience.
Tout à coup, sur la gauche, une arme automatique rompt le silence.
Comment assurer ma mission ? Je n'ai qu'une grenade offensive.
Peut-être, en fait, n'a-t-on compté sur moi que pour transporter et sauver ce "reste" de fusil-mitrailleur ?
A-t-on seulement essayé de s'en servir ?
S'en suit un nouvel arrêt, plus prolongé (pourquoi ?).
Il ne couronne pas mieux mes efforts.
Et pendant ce temps, le crépuscule a obscurci le sentier. Aucun ordre de départ ne m'est parvenu. Au moment où je vois le camarade qui me précède disparaître dans la nuit, à travers bois, je l'appelle aussi fort que je peux me le permettre après la récente alerte.
Je m'avise, trop tard, qu'il est vraiment sourd. Enfant de troupe taciturne, il était souvent taquiné pour les fréquentes vacances de ses "portugaises". Son infirmité s'est révélé réelle au plus mauvais moment. Je l'appelle encore, tout en courant droit devant moi.

Il n'y a plus de sentier. Le dernier arrêt amorçait peut-être un changement de direction. Je n'en ai rien su.
Crier plus fort au risque de faire repérer le groupe, cela n'était pas pensable.
Attendre quoi ? Dans une situation pareille, on ne revient pas sur ses pas pour récupérer un égaré.
N'ayant ni carte ni boussole, aucune idée du terrain ou de l'itinéraire, je restai un moment à réfléchir.
M'orienter tout d'abord afin de conserver la direction de la marche !
Je scrutais le ciel noir. Pas une étoile observable. La lune était montée à l'horizon dès l'arrivée de la nuit. Des nuages couraient, donnant cette désagréable impréssion que c'était la lunbe qui futait.
Je repris ma marche sachant que la mission était de sortir du guêpier avant le jour.
L'angoisse faisait peser plus lourd encore sur mes épaules le sac et l'absurde fusil-mitrailleur. Je me répétais mentalement pour ne pas l'oublier le nom du point de ralliement "Vallières". C'est là que je pensais espérer retrouver mes camarades.

Tout à coup un village. Peut-être vais-je repérer le nom. Dans la nuit je m'avance. Pas un chat, pas une lumière, puis le cri d'une sentinelle -" Wer da ". Je m'immobilise. Des secondes passent. Une fusée jaillit puis lentement descend du ciel, éclairant maisons et paysages. Plaqué au sol je me sens envahi par la lumière. Je m'incorpore plus encore au mur et à la terre.
De nouveau dans le noir, je fais demi-tour et échappe à la rue en pénétrant dans un jardin de banlieue dont la maison parait vide.
Au fond, un mur de deux mètres. Jamais à l'exercice, avec sac et F.M., je ne l'aurais sauté aussi vite.
Replongé dans la nature et cette fois, sans espoir d'identification du terrain, je m'éloigne autant que je peux de ce lieu malsain.
Seule certitude, je n'ai pas franchi l'étau.
Il me reste peu de temps. Le F.M. inutile est caché sous les branches basses d'un sapin. Je me pose à paine la question de savoir comment je le retrouverai.

Allégé, je parcours en vitesse le plus de kilomètres possibles, pour fuir le village hostile avec l'espoir de m'approcher du but.
Épuisé, je m'arrête au petit jour et me

A peine ai-je franchi la porte, que j'entre dans le drame. Toute la famille est là, atterrée. Je me rends compte qu'avec mon accoutrement je fais plus l'effet d'un "terroriste" que d'un étudiant.
- "Allez vous en, vous allez nous faire tuer !" ce cri jaillit et me glace. Je demande une tranche de pain et ... la direction de Vallières. On me jette presque la première et on me désigne une petite route sous bois sur laquelle je m'engage d'un bon pas, sans réfléchir.
J'entends derrière moi s'éloigner les bruits de la fusillade. C'est l'espoir. 
Je révise mentalement la version de l'étudiant. Depuis ma "dissidence" j'avais falsifié ma carte d'identité en me donnant deux ans de moins. Presque allègre, je marche d'un pas déterminé. Etait-ce vers Vallières, et les camarades ?

L'Apôtre Paul terrassé sur la route de Damas ne fut certainement pas plus ahuri que moi. Je n'avais rien vu, rien entendu. Je me suis retrouvé couché sur le sol, deux soldats feldgrau sur le dos, probablement en planque aux abords d'une maison de forestiers qui m'était parue inhabitée.

Paraître étonné et calme quand le cœur bat à cent-cinquante !
On m'introduit, sans ménagement, dans la salle principale (ou peut-être unique) de la maison.
Ma capture apparaît comme une routine. Fouille. Incompréhension pour raison de langue. Je suis surveillé mais pas entravé. Pour accréditer mon personnage, je choisi un livre sur l'étagère-bibliothèque qui domine le lit sur lequel je me suis assis.
Regarder vers la porte n'est pas recommandé. Ils sont armés et m'observent en silence. Un homme arrive. Plutôt vulgaire, habillé (ou déguisé ?) en paysan. Il me dévisage et échange un regard entendu avec les soldats.
Ai-je été signalé depuis la ferme ? Un souvenir de 5ème colonne me vient à l'esprit.
Ces hommes attendent le chef. Une voiture s'arrête. C'est lui. Un lieutenant, belle carrure, jeune, presque sympathique... Mais... il a la marque S.S. sur la patte de collet !

Le décor change. Le lieutenant s'assied derrière une vaste table, me fait asseoir. Il parle un français parfait, sans accent. Il a posé son pistolet à portée de nos deux mains.
Compte-t-il être plus rapide que moi ?
Compte-t-il sur ses hommes pour tirer si je fais un geste ?
Je préfère présenter ma version des événements. C'est un désastre. Mes brodequins de cuir, ma veste de cuir trahissent le militaire. Mon improvisation ne tient pas. On peut vérifier mon histoire d'étudiant, car le Midi n'est pas encore libéré.
Un soldat brandit triomphalement une boite de "singe" de l'Intendance, produit de ma fouille.
Après tout, terroriste pour terroriste, je préfère être un de ces élèves-gardes qui n'ont fait que leur devoir de patriotes.
Un dialogue "franc" (comme disent les diplomates) s'instaure d'une façon tout à fait surréaliste, inattendue, entre un S.S. et un Résistant.
- "Vous êtes donc communistes, pour avoir trahi vos chefs ?"
- "Non, si j'avais une opinion politique, je serais plutôt royaliste, n'ayant jamais lu que l'Action-Française, quotidien préféré de la famille."
- "Mais alors vous devriez obéir au Maréchal Pétain qui a signé un armistice !"
- "Vous avez rompu l'armistice et le Maréchal Pétain est votre prisonnier !"
- "Mais vous n'aviez pas le droit de prendre les armes !"
- "C'est vrai, mais en me destinant à Saint-Cyr, c'était la moindre des choses que je participe à la libération de mon pays. Je suis sûr que si j'avais envahi et occupé le vôtre, vous auriez fait comme moi."
- "Bien sûr. Mais aujourd'hui c'est moi qui commande ! Vous êtes mon prisonnier."

Les voix avaient gardé un ton de discussion, sans concession mais sans colère. Je me sentais en accord avec moi même. Une certaine plénitude. J'avais dit ma vérité, en redoutant le pire. Et encore ne savais-je pas encore que j'avais été déchu de la citoyenneté française par Vichy.

   

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